III/ Des tonalités de discours différents


LES FAITS
         Le ton des articles étudiés varie beaucoup selon le média concerné.

WASHINGTON POST
         L’article du Washington Post, en raison de la ligne éditoriale du journal, adopte un ton qui se veut le plus neutre possible. Le journaliste ne prend pas partie explicitement et multiplie les citations pour justifier tous ses propos. Il prend ses distances avec l’évènement et porte dessus un regard critique.
         Cependant, l’article est malgré tout fortement emprunt de patriotisme. Le journaliste n’oublie pas de glorifier les héros morts pour le pays qui se sont engagés pour porter haut les couleurs de l’Amérique. En plus des témoignages des proches des soldats décédés rapportés sous forme de citations, on trouve sur la page de l’article une vidéo patriotique jouant énormément sur l’empathie. On y voit par exemple la femme d’un des militaires tués décrire son mari la voix tremblante et la larme à l’œil. Les plans sur le drapeau américain flottant en berne contribuent également à renforcer la sensation d’injustice faite à ces familles endeuillées.
         L’article qui au premier abord peut paraitre assez neutre valorise finalement énormément les Etats-Unis et ne critique finalement que peu le commandement militaire. L’axiome d’une Amérique invincible transparait notamment dans le tout premier paragraphe de l’article lorsque le tir des talibans est décrit comme un vulgaire « lucky shoot ».

SEAN LINNANE
         Le ton utilisé par Sean varie fortement selon l’article.
Dans son article du 12 août, Sean paraît encore sous le choc, ce qui fait que son article est un véritable hommage à la mémoire des SEALS de la Team 6 morts au combat durant cette opération. «These guys were the highest of their profession, and when you crunch the numbers it is easy to say they are less than 1% of 1% of all the military - the true elite. Their spirits may rest in the Hall of Heroes in Valhalla ». Toutefois, il reste très sobre et ne donne pas dans l’emphase lyrique comme on peut trouver dans la page Facebook. Sean fait son possible pour garder son recul offert par sa position de vétéran de l’armée américaine ; s’il rend hommage aux hommes tombés sur le champ de bataille, il ne cède pas au désespoir devant le plus grand attentat de la guerre menée en Afghanistan contre les talibans, même s’il connaissait bien certains membres de cette Team 6. Par ailleurs, une autre tonalité ressort : celle de sa haine contre les talibans qui ont tué ses collègues et qui revendiquent ce fait avec fierté, par exemple en utilisant des expressions comme « the whole place is incurably tribal anyway ».
         L’un de ses lecteurs essaie d’ailleurs de le raisonner en lui laissant le commentaire suivant :
Bob Devine said : « The problem is the Islamic leaders not the followers. 99% of those throwbacks would not know enough to turn on a light in a dark room if they had lights. The problem is the 1% that spurs them on. That 1% will never be seen even close to a bomb much less a body bomb. The 99% would be content to live their lives of squaller and be left alone if we got rid of the 1% causing all the trouble. A few quiet black ops taking those 1% guys out would reap far more benefits than the current strategy in my opinion. I still would not trust the 99% and would keep a sharp eye on them but this is way better than the way we are doing it now with no tangible results ».
Dans son article du 14 août (article dans lequel il répond aux rumeurs de meurtre des SEALS organisé par la Maison Blanche), il est beaucoup plus agressif, violent même. On sent qu’il a bien à cœur le problème qu’il défend.
On voit donc que Sean Linnane utilise des tons très humains dans ses articles, des tons qui sont naturels pour un vétéran américain qui vient de perdre plusieurs collègues dans un attentat : le ton de l’hommage et de la haine. Toutefois, il n’utilise pas de stratégies de persuasion particulières (compassion, etc.) pour obtenir l’adhésion de son lecteur.

AL JAZEERA
         La tonalité utilisée par Al Jazeera est extrêmement sobre. D’abord, ceci est dû au fait qu’Al Jazeera cite sans cesse les sources de ses informations, qu’il s’agisse de sources provenant de l’OTAN, du NY Times, de leurs services de renseignements locaux ou encore des Talibans eux-mêmes. Ensuite, la chaine télévisée suit les règles bien établies chez les médias traditionnels : les propos ne doivent pas choquer le public, garder une certaine neutralité vis-à-vis des événements (et ne pas prendre partie pour les SEALS ou les Talibans). Cette neutralité se ressent d’ailleurs de façon remarquable dans la représentation du point de vue des Talibans, chose que cet article est le seul à faire. En effet, leur porte paroles est cité dans l’article texte : «"They wanted to attack our mujahideen who were in a house, but our mujahideen resisted and destroyed a helicopter with a RPG (rocket-propelled grenade) rocket", Taliban spokesman Zabihullah Mujahid said by telephone from an undisclosed location » ; et plus de une minute du reportage est consacrée au récit de l’attentat de la part des Talibans qui l’ont eux-mêmes exécuté (c’est ainsi qu’on les voit raconter l’événement et laisser exploser leur joie en tirant des rafales de Kalachnikov dans les airs).
Le ton est donc assez neutre et descriptif, mais le point de vue rapporté ici est très intéressant dans la mesure où il s’agit de celui de « l’autre camp », de celui des « bad countries » (Sean Linnane).

FACEBOOK
         Sur Facebook, la retenue et l’objectivité ne sont pas du tout de rigueur. Bien au contraire, les personnes profitent de Facebook pour laisser s’exprimer leur sensibilité face à un évènement. C’est ce que nous pouvons voir sur la page d’hommage que nous avons sélectionnée. Les commentaires expriment quasiment tous les sentiments patriotiques qui habitent leurs auteurs. Les commentaires se ressemblent tous pour la plupart et c’est justement cette redondance qui donne à la page sa tonalité empathique. L’accumulation de toutes les prières et de tous les messages de soutien aux familles postés créent une atmosphère de tristesse et de compassion à la fois solennelle et chaleureuse.
         Le manque total de retenue est bien visible dans la chaîne de commentaires faisant suite à l’annonce de la mort du tireur taliban. Les auteurs des posts laissent s’exprimer une joie malsaine parfois de façon violente : « Hey taliban, still think the US is weak? Think again, bitches. We ALWAYS get ours! hoo-effffing-yah!! ».